TABLE DES MATIERES
by Celine Marquaille
 

 
Introduction

I- Les vicissitudes de l'imitatio Alexandri ou la force d'une image contre Rome

A- Introduction du mythe d'Alexandre à Rome

1- A travers Alexandre le Molosse

2- Invasion progressive du quotidien dés le IIIème siècle av. JC

2- Scipion l'Africain

B- Le mirage de l'Orient

1- Le vertige de l'Orient

2- Pompée: "Alexander redivivus"

3- Antoine: le "Néos Dionysos"

C- Rome en position défensive

1- Les premières réserves: Cicéron

2- Fortuna Romana et Fortuna Alexandri

3- L'image d'Alexandre comme symbole emblématique de la royauté: César

II- Les Empereurs face a Alexandre A- L'ambiguïté d'Auguste

1- La propagande contre Antoine

2- Une admiration non cachée

B- La résistance à Alexandre et la formation d'une nouvelle image

1- Le silence de Virgile

2- La réaction défensive et traditionaliste de Tite-Live

3- Alexandre, le contre-modèle?

C- L'héritage d'Auguste: une image passionnelle et conventionnelle à la fois

1-Quelques empereurs fanatiques

2- La formation d'une image officielle

3- Alexandre: un miroir pour l'histoire de l'Empire?

III- Quand l'image se dédouble A- La déformation de l'image

1- La littérature grecque "alexandrophile": une image ouverte

2- Les sources diatribiques: une image "fermée"

3- La confrontation des images à travers l'affaire de Philotas et le meurtre de Cleitos

B- Alexandre, image de la démesure

1- La fin du héros: l'homme

2- Les griefs des Stoïciens

3- Le retournement de l'image

C- Qui est Alexandre?

1- Alexandre: l'ennemi de la "libertas"

2- Alexandre le Romain

3- Entre la vie et la littérature

Conclusion

Bibliographie

Table des annexes

Introduction

 

 

Le rôle de l'imaginaire et de la pensée romaine sur tout ce qui lui arrive de l'extérieur exige d'envisager l'histoire de toute représentation à Rome avec, d'un côté, l'abstraction de cet élément nouveau, d'un autre côté, la conscience sans relâche de la romanisation certaine de ce phénomène.

Cette observation doit ainsi rendre compte d'une méfiance initiale dont l'aboutissement est souvent soit un rejet, soit une appropriation.

Alexandre, dont le nom seul évoque le caractère exceptionnel de son destin, n'y a pas échappé. Les Diadoques et les Epigones, successeurs d'Alexandre, avaient abondamment exploité l'image d'Alexandre, aussi bien politiquement qu'iconographiquement. On trouve peu de similitudes cependant entre la représentation, essentiellement de caractère divin, observée en Egypte et en Grèce, et celle qui se développa à Rome: il n'est pas redondant d'affirmer que l'image d'Alexandre à Rome est une image romaine.

Les étapes que traversa l'image du Macédonien à Rome correspondent aux soubresauts qui animèrent l'histoire de Rome. Les transformations de la mentalité romaine sont également étroitement liées à cette évolution, puisque le "génie romain" conserve un rapport intrinsèque avec la vie religieuse et politique de la cité.

A mesure que l'Empire s'agrandit, les opinions à propos d'Alexandre se diversifient, commandées par les horizons si variés de ses habitants, et la nouvelle voie politique engagée par l'Etat romain.

Le terme "opinions" n'est d'ailleurs pas correct: il faudrait plutôt parler d'émissions d'images. Les différents propos tenus sur Alexandre à Rome n'ont jamais manifesté de rigueur scientifique mais ont toujours été pensés selon un équivalent romain constitué soit par une personne (on parlera alors d'imitatio Alexandri), soit par une situation politique qui façonne l'image d'Alexandre selon le degré d'analogie qu'on a bien voulu lui donner.

Alexandre a effacé, dans ses dimensions surhumaines, la réalité historique factuelle. Ceux qui l'avaient sublimé sont aussi les responsables de son désaveu.

La raison d'être de cette étude est due à l'étonnante multiplicité, et à son essentielle diversité, des occurrences du nom d'Alexandre dans la vie politique et littéraire de Rome, ou plutôt d'un Alexandre indéfini, si l'on considère l'histoire globale de Rome à la fin du Haut-Empire.

Il est impossible de dessiner un portrait précis d'Alexandre qui embrasserait toute l'histoire de Rome car il comporterait de nombreuses contradictions. On serait obligé de faire une peinture à la façon de Picasso, où la face et l'envers du visage devraient être représentés sur la même toile et offriraient ainsi un visage déformé.

Chaque acteur de l'histoire a apporté dans ce portrait sa propre touche et, parmi les nombreuses épithètes qu'on pourrait attribuer au Macédonien, a puisé, dans ce catalogue extensible à souhait, celle qui convenait le mieux, non seulement à ce qu'il pensait d'Alexandre mais aussi à ce qu'il pensait de lui-même.

Cette étude n'est donc pas seulement le compte-rendu des multiples images d'un héros qui stimula tant les imaginations, mais également l'histoire des passions du peuple romain, ou plutôt celles des acteurs et des témoins de son histoire, qui, devant la grandeur du mythe plus que du personnage, se sont prosternés devant leur propre avenir, pour le bannir quelques siècles plus tard et fustiger son humanité.

Il peut apparaître regrettable que ce travail ne rende que très peu compte de l'image populaire d'Alexandre à Rome. La politique, les "res publicae", et la littérature semblent s'en être emparés pour ne nous laisser que leurs clinquants témoignages. Certains éléments toutefois nous permettront, à notre tour, d'imaginer ce qu'elle aurait bien pu être.

 

Pour bien comprendre l'évolution de l'image du Conquérant, et les postulats de départ qui l'ont accompagnée, il est nécessaire de s'attarder sur les conditions dans lesquelles le nom d'Alexandre fut perçue pour la première fois à Rome. De cette probable peur devant les projets occidentaux d'Alexandre, qui ébranla la cité antique dans ses premiers balbutiements impérialistes, l'image d'Alexandre s'auréola d'une certaine mystique qui prouve, une fois de plus, les liens indissociables qui unissent crainte et respect.

La période républicaine se distingue surtout par les rapports privilégiés que l'imitatio Alexandri, personnification vivante de l'image du héros, a entretenu avec l'idéologie impériale.

Cette référence à Alexandre montre ainsi l'ampleur des bouleversements subis par le Mos Majorum à partir de Scipion, lorsque l'appartenance à la collectivité ne l'emporte plus sur le modèle prestigieux d'une singularité éminente.

Toutes ces transformations allaient faire revivre l'idée de royauté, dans laquelle l'image d'Alexandre, symbole emblématique de ce concept abstrait, prit une part centrale. Cette alliance inévitable et la reconnaissance du Roi Alexandre allaient avoir sous l'Empire d'importantes conséquences.

La période impériale représente, quant à elle, une dichotomie inextricable: entre la vie et l'art, entre les Empereurs et les chantres des lettres latines, le fossé semble infranchissable. Quel rapport, en effet, entre l'admiration parfois démesurée, souvent intéressée, des empereurs romains et les déversements de haine des biographes et des Stoïciens?

Ces "miroirs" que furent les empereurs n'ont plus peur d'afficher l'image d'Alexandre au coeur de Rome et Auguste représente à cet effet un moment décisif, même si problématique, dans la représentation de cette image.

Les manifestations les plus excentriques se mêlent à une véritable prise en compte et à une assimilation de ce qu'aurait pu être Alexandre.

Pendant ce temps, jusqu'aux réactions remarquées de Plutarque et d'Arrien, les élèves consciencieux de la diatribe romaine, héritée des écoles de rhétorique grecques, martèlent de façon incessante le nom du "brigand" Alexandre et tentent d'annihiler son image. Une étude des sources grecques des auteurs du Ier siècle de notre ère permettra de mieux comprendre l'emprise romaine sur la déformation, ou renaissance, de cette image.

Sous les dessous de la rhétorique se cachent bien sûr ces miroirs que représentaient les empereurs et qui font le lien entre la diffusion de deux images si opposées, et la volonté de montrer que tous ces grands ne sont que des hommes.

Mais alors qui est Alexandre? La romanité d'Alexandre est-elle donc le reflet de sa propre image?